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Plein les yeux 2010
24 novembre 2010

Cerro Castillo

On n’arrive pas à Coyhaique par hasard. Ce n’est pas le genre d’endroit où l’on vient se perdre, flâner dans les rues, visiter le temps d’un weekend. Pour y arriver il faut soit, comme nous, prendre le ferry pendant 24 heures, soit venir par la route australe, avec les transports erratiques que cela suppose.

En arrivant sur place on découvre une ville presque nordique, aux maisons toutes en bois et peintes de différentes couleurs, aux rues toutes propres, mais toutes vides, au peuple à la peau endurcie (personne ne porte de K-Way, malgré la pluie) mais au cœur fondant. Nous sommes ici dans le Nord de la Patagonie, une région bien plus désertique et sauvage que sa touristique voisine du Sud, quelques milliers de kilomètres plus bas. Ici il y a moins d’un habitant au kilomètre carré, et la lande reste surtout peuplée de courants d’airs.

Le premier soir à notre hôtel, la patronne nous accueille avec une mauvaise nouvelle : il fait beau depuis 10 jours. C’est louche, on nous avait promis les 4 saisons et les 40ème rugissants en une seule journée. Néanmoins nous persistons dans le projet qui est la raison de notre venue ici : le tour du Cerro Castillo. Mais après notre expérience détrempée dans Altos de Lircay, nous prendrons cette fois des précautions : nous allons nous acheter un pantalon imperméable chez ce qui est devenu notre fournisseurs officiel : The North Face. Grand bien nous en a pris. Quand notre mini-van nous déposera au milieu de nulle part pour commencer notre trek, il pleut. En dépit de notre équipement de grande qualité, nous manquerons nous, de la légendaire résistance patagone aux intempéries et mettrons fin à notre premier jour de marche 2 traversées de rivières glaciales et 2 heures de pluie plus tard. Nous déposons les armes devant les 5 autres rivières qu’il nous reste à traverser et devant ce qui s’annonce comme une journée de pluie ininterrompue.

Ce sera pire encore. Après avoir installé notre tente et déjeuner, c’est la neige qui se met à tomber. Elle ne s’arrêtera que le lendemain matin, alors que nous nous sommes armés du plus grand courage pour nous remettre à marcher. La journée qui s’annonce à nous est longue, car il faut rattraper le retard de la veille. A notre grande et heureuse surprise, une fois rentrés dans le Parc National du Cerro Castillo, les rivières se dotent de luxueux ponts de bois, réduisant significativement notre estimation de la durée de la marche du jour. Nous rattraperons rapidement ce qui aurait du être notre bivouac de la veille non loin d’un « mallin », ces prairies détrempées par l’accumulation de l’eau de la fonte des neiges. La fôret débouchera ensuite sur un fond de vallée rocailleux où vient courir un torrent. Au-dessus, la chaîne du Cerro Castillo (le Mont Château) se dresse en une première muraille enneigée. Nous la contournons par la gauche et replongeons rapidement dans la forêt. Avant de tenter une première incursion dans cette place forte, nous prendrons une pause déjeuner de guerriers : pâté, sandwich jambon-fromage et barre céréale. Le régime des combattants, immuable depuis nos premiers treks. L’après-midi nous lancerons notre attaque en profitant d’une faiblesse de la défense : un col enneigé ouvre la voie vers le reste de la chaîne. Armés de guêtres flambant neuves, nous avancerons sans peine dans la neige fraîchement tombée. Le col est si étroit que l’armée d’Alexandre n’aurait pu y passer. De l’autre côté, la redescente nous rappelle que cette année encore, malgré notre envie, nous n’irons pas skier. C’est l’un de ces sacrifices que nous faisons sur l’hôtel du voyage.

Notre second campement n’est désormais plus très loin. Il est installé un peu en amont du confluent de deux rivières, dans les sous-bois. Pour une fois nous pourrons profiter jusqu’à la nuit de pouvoir rester dehors. Depuis midi le ciel s’est éclairci. Jusqu’au coucher du soleil nous jouerons les équilibristes sur un tronc : les plaisirs simples de la nature. Nous reprenons la route au petit matin après notre sempiternel petit-déjeuner : thé, mueslï pour Clément, tartine de dulce de leche pour Anneso. Une heure à peine après notre départ nous découvrons un bivouac jusqu’où nous n’avons pas eu la force de grimper la veille. Nous ne regrettons pas. En dépit de sa position stratégique face à une citadelle de granit et de glace, l’endroit est humide et venteux. En revanche les parois verticales qui lui font face réveillent en nous nos instincts de grimpeurs et nous cherchons déjà dans la roche par quelle voie nous en ferions l’assaut. Plus haut, alors que nous avons laissé la fôret depuis longtemps et que maintenant c’est la végétation qui nous quitte, le terrain se couvre de minéral. Nous arrivons à un lac glaciaire au-dessus duquel est perché un glacier suspendu. Les séracs qui s’accumulent sur le bord de la falaise sont prêts à se détacher et n’attendent que la poussée du glacier pour venir finir leur course quelques centaines de mètres plus bas, dans le bleu clair du lac. Le sol s’est recouvert de rochers, et le chemin devient l’interprétation que nous en faisons d’un cairn à un autre. Inévitablement nous perdons sa trace puis retombons inopinément sur une marque de peinture rouge et blanche. Parfois les indications sont contradictoires : un panneau dans un sens, un cairn dans l’autre. Dans ce cas, plus qu’une seule chose à suivre notre instinct.

En réalité notre démarche ne fût pas si instinctive. Nous sommes des êtres humains après tout. Par conséquent nous avons sortis notre carte et comparé les données topographiques à notre interprétation du paysage. Si, tels des condors, nous avions suivi vraiment notre instinct, nous aurions pressenti les rafales de vent qui nous attendaient en haut du col par lequel la carte nous faisait passer. De notre vie, jamais nous n’avions connu de telles bourrasques. Alors qu’au début nous jouions à défier les lois de la pesanteur en nous penchant en avant et en nous laissant porter par le vent, nous avons vite déchanté. Certaines rafales furent si fortes qu’il fallu presque s’allonger au sol pour ne pas se faire emporter. Anneso fît même une pirouette en l’air, son sac offrant une parfaite prise au vent, et finit sa course encastrée entre deux rochers. A ce stade là, le numéro de voltige ne nous faisait plus du tout rire et notre instinct, de survie cette fois, nous ordonnait de quitter le col au plus vite. Plus facile à dire qu’à faire. Nous sommes au milieu d’un pierrier et devons avancer courbés, voire assis, pour ne pas nous faire emporter. Heureusement après un temps qui parut interminable, nous arrivons enfin à rejoindre la forêt, à l’abri du vent, et à nous remettre de nos émotions.

La suite du trajet sera bien plus calme : nous retrouvons une vallée et longeons une rivière pour rejoindre notre campement. Ce dernier présente l’énorme avantage d’être sous des arbres, à l’abri des bourrasques. Une incursion hors de notre campement vaut néanmoins de courir le risque. Nous sommes installés au beau milieu d’un cirque. Nous avons réussi notre quête et sommes au milieu de la forteresse du Cerro Castillo.

Le dernier jour pour terminer notre trek et rentrer à Coyhaique, dame nature ne nous épargnera pas : nous sommes chassés par la pluie, et comme à l’accoutumée, elle ne cessera de tomber jusqu’à ce que nous ayons rejoint Villa Cerro Castillo, où nous devons reprendre le bus. Même si nous pressons le pas, nous arriverons bien évidemment trempés après 3 heures de marche et nous nous jetterons dans le premier refuge trouvé : deux bus collé l’un contre l’autre et transformé en « diner » à l’américaine. L’accueil est chaleureux, le sandwich roboratif et notre place stratégique : de là nous pouvons observer au sec les bus qui passent. Nous sommes aux aguets car il n’y a qu’un bus par jour et s’il est plein il ne prend pas la peine de s’arrêter. Autant dire que lorsque nous voyons 5 autres personnes s’installer à l’arrêt de bus en face, nous sommes plutôt tendus. Après deux heures d’attente sous la pluie ils déclareront forfait. Dans les 5 minutes qui suivirent un van s’arrêtera justement à notre « diner » pour une pause déjeuner. Il faut vous l’avouer, nous ne sommes pas partis rattraper les 5 autres personnes qui attendaient le bus : à la guerre comme à la guerre !

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